« Si on compare cet album avec The Astonishing, c’est clair qu’il y a plein de choses différentes. Il est bien plus court et le groupe a créé cet album de façon collégiale que ce soit les mélodies ou les paroles. Il est bien plus heavy, plus nerveux et plus groovy. »
Pour la promotion de leur nouvel album « Distance over Time », John Petrucci et James LaBrie ont fait une petite tournée des médias en Europe début décembre. Ils étaient de passage à Paris et Your Majesty a pu les interviewer grâce à Valérie de jmtconsulting. Donc un grand merci à elle ainsi qu’à John et James pour leur disponibilité malgré la fatigue. Vous pouvez retrouver la vidéo en fin d’interview. Puisque les deux paroliers principaux de l’album étaient présents, l’interview s’est essentiellement concentrée sur la composition des textes au sein de Dream Theater mais pas que…
Pour cette première question, on voulait savoir pourquoi vous aviez appelé l’album « Distance over Time ». Bien sûr, on peut voir que les initiales sont une référence à Dream Theater (D/T) mais y a-t-il un lien avec les paroles ou le thème de l’album?
John Petrucci : Pas du tout, mais je vais essayer de trouver une image pour vous expliquer (ndt : et là, John met plusieurs minutes pour chercher l’image sur son téléphone, image qu’il ne trouvera pas). Ça vient d’une boutade, d’une formule…
… Oui c’est la vélocité (v = d/t) …
John Petrucci : … Exactement. Pendant un petit moment, l’album devait s’appeler « Velocity ». On était tous d’accord mais ça nous semblait pas très poétique donc on a choisi « Distance over Time »… Je n’arrive pas à trouver l’image, continuez sans moi…
En ce qui concerne l’artwork, comment avez-vous décidé de la pochette ? Aviez-vous une idée précise en tête ?
James LaBrie : Hugh Syme est le directeur artistique. On lui laisse le choix concernant la direction artistique et l’univers de l’album. On lui a juste donné le titre et c’est tout. Hugh fait ça depuis longtemps et il est vraiment génial. C’est l’un des meilleurs artistes pour faire des pochettes d’albums : regardez ce qu’il a fait avec Rush. Il a fait plusieurs pochettes pour Dream Theater donc il sait ce qu’il nous faut notamment le fait que les paroles sont très importantes pour nous. C’est notre artiste préféré. Il est donc revenu vers nous avec quelques idées et d’ailleurs cette pochette était sa pochette de secours.
John Petrucci : Il l’a sorti de sa poche…
Il se trouve que devant moi, j’ai les deux paroliers principaux du groupe puisque James, tu as écrit 3 morceaux et John a composé 3 … ?
James LaBrie : En fait il a écrit 4 morceaux à lui seul et il en a co-écrit un ou deux avec John Myung…
John Petrucci : Désolé, je n’arrive pas à retrouver l’image en question. Pour revenir au titre, c’était vraiment une vanne pourrie à propos du nom que j’ai donné à un de mes sons de guitare : ça donnait d sur t est égal à quatre fois douze fois … bref un truc hyper long. Mais la formule « d sur t » sautait aux yeux et c’était très poétique. Hugh Syme a décidé d’illustrer cela avec une main robotique et un crâne. Mais bon, ça a démarré avec un truc bien moins sérieux que ça.
James LaBrie : (rires) Moins sérieux ouais…
John Petrucci : Pas du tout même, mais parfois c’est de cette manière qu’on trouve des idées. Bref, désolé de cette interruption, je pensais vraiment pouvoir trouver l’image …
Retournons donc aux paroles : comment écrivez-vous les paroles? Un truc qui vous passe par la tête, un sujet grave dont vous voulez parler ou alors vous écoutez juste le morceau et vous vous dites : tiens si je parlais de ça ?
James LaBrie : Souvent c’est la mélodie du morceau, l’atmosphère qui nous inspire (ndt : et là, on vous laisse admirer James qui n’arrive pas à prononcer le mot « conjure » et qui s’essaye au français dans l’hilarité générale). Je note des idées sur mon téléphone quand je me dis « tiens ça, ça sera bien d’en parler ». Ensuite, j’en parle au groupe en leur disant : « ça serait bien d’évoquer ce sujet car le morceau me fait penser à ça ». Les paroles peuvent nous être inspirées par ce qu’il se passe sur cette planète au niveau social, par des films que je regarde, par les relations que j’ai avec les gens, les livres… Mais en général, rien que d’observer le monde, c’est inspirant.
Et toi John ?
John Petrucci : Je suis d’accord avec James : c’est vraiment important que le thème des paroles s’intègre bien à l’atmosphère du morceau. Un bon exemple sur cet album, pour moi, c’est Pale Blue Dot : l’intro fait penser au début d’un film dans un planétarium pour ensuite dériver vers Star Wars, Interstellar… on dirait que ça vient de l’espace. J’avais déjà cette idée d’écrire une chanson sur les idées de Carl Sagan et de la sonde Voyager (ndt : Pale Blue Dot est l’une des photos de la Terre prise le plus loin dans l’espace par la sonde Voyager. Carl Sagan est un astronome qui a écrit un livre intitulé Pale Blue Dot). Donc quand on a créé cette intro, tout de suite je me suis dit que ça irait bien car ça s’intégrait bien à l’atmosphère du morceau. Pour résumer : le plus important quand on écrit des paroles, c’est de s’assurer qu’elles vont aller parfaitement avec l’ambiance. Une fois qu’on a réussi à faire ça, alors on peut commencer à aller plus loin : faire des recherches, noter des idées ou même rester assis pendant des heures à y réfléchir.
Il y a un morceau dont le titre n’est pas évident à comprendre : S2N. Cela parle de quoi? J’ai essayé de chercher sur Google…
John Petrucci : Non tu ne trouveras rien. S2N est un acronyme de Signal to Noise, les mots qu’on retrouve dans le refrain. Il se base sur l’une des observations spirituelles de John Myung. Le signal te représente, le fait que tu résonnes de façon pure (ndt : et là, votre intervieweur commence à avoir mal au crâne 😀 ). Le bruit (noise) représente tout ce qui est négatif dans ce monde : les mauvaises nouvelles qu’on te balance au JT, les gros titres des journaux, la famine, l’usage grandissant de drogues, les catastrophes naturelles, toutes les distractions comme ce qu’il se trouve sur cette table (il montre la caméra et le téléphone portable)… VIREZ MOI TOUT CA ! (rires). Tout ça c’est du « bruit ». L’idée principale vient du monde de la musique : l’objectif quand tu fais de la musique est que le bruit soit le plus bas possible et que le son (ndt : le signal) soit le plus clair possible. John s’en est servi pour faire une métaphore spirituelle : il faut que les distractions soient les plus faibles possibles pour trouver ta propre résonance.
Pensez-vous avoir changé de mentalité en ce qui concerne les paroles? Au début, vous écriviez plus des choses fantastiques alors que maintenant vous parlez plus de choses sérieuses : la planète, les violences faites aux femmes… Est-ce parce que vous êtes plus matures?
James LaBrie : J’allais parler justement de maturité : on devient plus sage et plus réceptif à ce qui nous entoure. Donc plus on vieillit, plus on comprend facilement comment cette planète fonctionne mais on se pose plus de questions. C’est paradoxal quand on y pense. Mais bon, on ne peut pas écrire que des paroles sérieuses, il faut aussi avoir des sujets plus légers. Il faut aussi montrer aux gens son côté plus joyeux, sinon ça devient ennuyant pour le public si on est tout le temps solennel. Jon Foreman, du groupe Switchfoot est mon parolier préféré. Il est dément : il peut parler de tout : de choses plus légères ou plus sérieuses et profondes. Mais la façon dont il choisit ses mots lui vient de son expérience. Il est très religieux mais pour lui toutes les choses ne sont pas noires ou blanches. Les paroles les plus intéressantes sont celles qui viennent d’une introspection. On devient plus mature et forcément les paroles sont une représentation de qui on est.
Lorsque j’ai écouté l’album, j’ai eu la sensation que c’était un « Anti Astonishing » puisque c’est un album très orienté guitares avec des riffs plus lourds. Aviez-vous prévu, lorsque vous êtes entrés en studio, de faire l’opposé de ce que vous aviez fait avec The Astonishing ?
John Petrucci : C’est marrant que tu dises que tu as eu « la sensation », ça veut dire que ce qu’on a fait t’a marqué, un peu comme si on t’avait « infecté ». Et en fait tout l’album est construit sur cette sensation que nous procure la musique. Quand on a composé l’album, on était dans un endroit, une pièce où rien ne pouvait nous distraire et où tout était calme. Mais en même temps, la sensation qui émanait de cette magnifique grange, c’est qu’on composait quelque chose de « primitif », d’agressif et de fort. Imagine cinq mecs dans une pièce qui composent…il y a de la testostérone, on s’arrêtait pour faire griller des steaks ou boire du whisky les soirs. On ressent de façon évidente cette sensation qu’on a eue, lorsqu’on écoute les morceaux. On a aussi composé de façon collective. De plus, si on compare cet album avec The Astonishing, c’est clair qu’il y a plein de choses différentes. Il est bien plus court et le groupe a créé cet album de façon collégiale que ce soit les mélodies ou les paroles. Il est bien plus heavy, plus nerveux et plus groovy. Il y a plus de solos et de « jeu ». Ce n’est pas un concept album et il est « sous orchestré ». Il y a moins de guitares rythmiques et bien sûr pas de musiciens invités ou de sons électroniques. On a enlevé toutes les choses qu’on avait utilisées pour illustrer l’histoire de The Astonishing. C’est primordial pour nous qui passons notre temps à créer, de nous réinventer constamment. Ça rend les choses plus intéressantes pour nous et bien sûr pour nos auditeurs. Et bien sûr c’est plus fun pour tout le monde !
Puisqu’on parle du processus de création, vous avez dit que toutes les démos avaient été jouées en configuration live, donc pensez-vous un jour sortir ces démos ?
John Petrucci : (rires) Oh mon dieu, non rien n’est prévu. Mais c’est marrant car quand on compose de cette façon, on le fait vraiment en live, c’est à dire qu’on ne sait pas où on va. On appuie juste sur le bouton REC et on joue. Mais on enregistre ça juste pour nous, c’est entrecoupé de blabla, de conneries ou des soli improvisés. On s’en fiche car on se dit que personne n’entendra tout ça. Donc le fait de vouloir sortir ces démos demande un certain lâcher prise : « et voilà ! On vous file tout même les trucs horribles ». Je sais que ça doit être très intéressant pour les fans …
James LaBrie : Sûrement pour les fans les plus acharnés.
John Petrucci : Mais pour être honnête, ça n’arrivera pas.
Ok donc je peux tout de suite zapper la question sur les Official Bootlegs
John Petrucci : C’est ça… En fait les démos, c’est comme quand on mange trop de pâte à gâteau. Ça peut rendre malade.
Ouais mais la pâte à cookies, c’est tellement bon …
John Petrucci : (rires) Oui mais bon vaut mieux manger le produit fini, non???
La glace Häagen Dazs cookie Dough c’est la meilleure non ? Bref, dans la deuxième vidéo postée par Inside Out, vous parlez du riff originel de John Myung, celui qui a donné naissance à tant de riffs et qu’au final vous avez quand même réussi à utiliser. A mon avis, je dirai qu’il apparaît dans S2N, non?
John Petrucci : Oui c’est ça, c’est le riff de John Myung « qui n’a jamais existé ». En fait c’est la dernière chanson qu’on a composée car on avait promis à John qu’on utiliserait son riff (rires).
Comment jongler entre ce que les fans attendent et votre propre sensibilité ? Après tout, en tant qu’artiste, vous tenez à vous exprimer mais vous ne voulez pas non plus décevoir les fans ? C’est un équilibre assez instable, non ?
James LaBrie : On se doit d’être honnête avec soi même, d’être conscient de ce qui est bon pour le groupe. Il faut se demander quelle direction on veut prendre et qu’est-ce qui nous inspire. On se doit de suivre notre cœur. Alors bien sûr on est conscient de ce que les fans pensent mais au final, on se demande surtout ce que le groupe a envie de faire. On a toujours ce genre de discussion quand on arrive à la fin de la tournée : « bon les gars, dans six mois environ, on se retrouve pour le nouvel album, alors que pensez-vous qu’on doit faire… ». Pour cet album, on avait tous la même envie, on s’est tous mis d’accord et ça a donné Distance over Time.
Vous êtes passé de Roadrunner à Inside Out. Est-ce que ça a changé quelque chose dans le processus de création?
John Petrucci : Pas du tout. On a passé pas mal de temps avec Roadrunner à créer pas mal d’albums et c’était vraiment super. Ils nous ont toujours soutenus et on avait des bonnes relations. Mais on est arrivé au moment où le contrat nous permettait de partir. Donc on a envisagé toutes les options possibles et au final on a signé chez Inside Out dont le directeur Thomas Waber est un fan du groupe depuis longtemps. Il a assisté à nos premiers concerts en Europe, quand on est venu en Allemagne pour la première fois. Puis il a développé cette entreprise avec succès et James avait déjà signé sur ce label pour ses albums solo. Il nous avait déjà contactés auparavant mais cette fois ci, on sentait que c’était le bon moment. C’était vraiment génial d’avoir son point de vue car il a deux facettes : c’est un fan donc il aime certaines périodes de Dream Theater et il peut donner son point de vue personnel mais il dirige également un label donc il veut soutenir un groupe qu’il vient de signer. Ça a été une expérience absolument géniale quand on a composé l’album car il était sur la même longueur d’onde que nous et il nous a énormément soutenus. A tel point que les démos pourries dont je parlais tout à l’heure, lui ont été envoyées. Il était super excité et voulait absolument les entendre : on aurait dit un gamin qui n’en pouvait plus d’attendre. Pour résumer, c’est vraiment une belle aventure depuis qu’on a signé. Thomas Waber est génial, toute l’équipe est géniale et ils bossent tous durs.
Interview et traduction : The Keyboard Wizard
Montage vidéo : Stef1
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