Note de Lutinmyung : vous proposer le live report de Sébastien (Wizard) afin qu’il partage avec nous ses impressions et son ressenti sur un concert de Dream Theater nous semblait vraiment intéressant… En effet, Sébastien étant non voyant, sa perception d’un live diffère de la notre… Nous remercions encore Sébastien d’avoir accepté avec plaisir d’écrire pour Your Majesty !
Dream Theater, Palais des Congrès, 6 mars 2016.
(par Wizard).
Dimanche 6 mars 2016. Départ vers 12 heures des environs de Nantes, en direction de Paris, accompagné d’Erwan et d’Oliv. L’ambiance est très détendue, et on se marre sans arrêt. En route, nous écoutons Dream Theater, et d’autres groupes intéressants, et nous discutons de The Astonishing, et de bien d’autres choses. Quelle joie d’aller écouter Dream Theater en direct! Ce sera mon cinquième concert, et cela fait sept ans que je n’ai pas assisté à une de leurs prestations. Mon excitation est à son comble.
Arrivée au Palais des Congrès vers 16 heures 30. Nous récupérons nos places, et apprenons à cet instant que l’ouverture des portes a été avancée à 17 heures ; étrange pour un spectacle qui doit commencer à 19 heures. Nous décidons d’aller nous rafraîchir. Après un long moment, Un de mes compères nous dit : »nous n’allons pas traîner ». Il est un peu plus de dix-huit heures ; nous arrivons dans la salle, un très bel endroit, selon un de mes deux compagnons. Nous sommes bien placés, et nous pourrons apprécier les différents effets stéréophoniques du spectacle. A notre grande surprise, nous entendons des consignes données à travers des haut-parleurs : « Merci et bon spectacle ». Nous sommes étonnés ; cela va bientôt commencer, alors que le début du spectacle est prévu à 19 heures ; nous ne comprenons pas. Quelques instants plus tard, j’entends, devant moi, légèrement sur ma droite, une voix me disant, d’un ton quelque peu moqueur et enjoué : « Ohé, c’est Lutin ». Une autre voix, à gauche de Lutinmyung, enchaîne en me disant : « Salut, c’est Damien » (TheKeyboardWizard). Chouette! Depuis le temps que nous souhaitions nous rencontrer… Je peux enfin associer des voix à ces pseudonymes, que j’ai lu tant de fois sur le forum ; je suis aux anges. Nous promettons de nous retrouver plus longuement à l’entracte. Quelques minutes après, les lumières baissent d’intensité, puis s’éteignent, les spectateurs applaudissent et expriment leur enthousiasme.
The astonishing, acte I
L’introduction de « Descent of the NOMACS » raisonne, avec, en plus des sons sinistres de Jordan Rudess, des paroles prononcées par une voix inquiétante, ce qui m’étonne, car ces paroles ne figurent pas sur l’album. J’apprendrai, par Lutin, que le groupe n’a pas pu inclure ces paroles sur le premier disque, compte tenu de sa durée. Puis les sonorités sans âme des NOMACS s’amplifient, Les robots volants apparaissant alors sur les écrans. Je suis déjà totalement immergé dans le son. Puis viennent le trois dernières notes « do » de l’introduction, sorte de toxine annonçant une guerre. Dans la version scénique de The Astonishing, ces notes sont au nombre de trois, et non de deux, comme sur l’album, sans doute pour permettre au groupe de faire son entrée sur les deux dernières notes. Et voici « Dystopian overture ». Le son d’ensemble est idéal, pas trop fort, même avec des bouchons d’oreilles. Le groupe semble déjà très à son aise, enchaînant les différentes progressions d’accords avec une facilité déconcertante. Les arpèges de Jordan Rudess sont un régal pour mes oreilles. Puis vient « The gift of music », et l’arrivée de James LaBrie, qui attaque avec une énergie qui nous montre qu’il veut en découdre. Les cinq membres du groupe sont là, en chair et en os, ils jouent pour nous en direct, et cela est extraordinaire pour moi ; je suis émerveillé.
Les morceaux défilent, trop vite à mon goût, faisant ressortir encore davantage les splendides mélodies vocales et l’incroyable foisonnement de l’écriture musicale de l’album. Le son de la guitare acoustique de John Petrucci, sur « The answer », est de toute beauté, et James LaBrie nous gratifie, sur l’introduction, d’un très chaleureux « Bonsoir, Paris ». Ah! Ce refrain enivrant de « A better life » ; quelle jouissance! Et la façon dont le groupe retranscrit en direct le rythme martial et les mélodies de « Lord Nafaryus » est éblouissante de justesse, malgré la difficulté de James à monter dans les aigus. Alors qu’arrivent les paroles « Arabelle, who means the world to me », je crois percevoir, dans le son de guitare, un effet de chorus. Je suis sur un nuage, totalement imprégné de la musique et de l’histoire. A la fin de « A savior in the square », premier faux pas pour James : à partir des paroles « Never in my dreams could I deserve », sa voix est légèrement en-dessous des accords du groupe, ce qui m’attriste, car cela gâche cette partie vocale si belle. Première grosse émotion avec « Act of Faythe », quel morceau et quelle mélodie sublime! Le son de piano de Jordan Rudess, bien qu’il provienne de son clavier Korg Kronos, sonne de façon très claire. Avec « Three days », James LaBrie nous montre à quel point il est capable d’incarner, avec ses changements d’intonation vocale, les différents personnages de l’histoire, et la cohésion du groupe est sans failles, celui-ci insufflant à la musique une assise rythmique tranchante, pour marteler le riff avec les paroles « Need I remind you, I am the ruler here, don’t overlook that fact ». Mike Mangini est impressionnant de maîtrise, derrière sa batterie, en particulier sur le passage jazz honkey-tonk, plus précisément sur la partie instrumentale étourdissante, qui suit les rires de Lord Nafaryus, et sur le passage jazz new-orleans, avec la partie très rapide de double grosse caisse. « Brother, can you hear me? » est LA mélodie imparable de cet opéra rock, et l’interprétation que les cinq musiciens en donnent ce soir est superbe.
Sur le premier riff de « A life left behind », joué à la guitare acoustique, riff qui oscille entre notes étouffées et notes jouées de façon claire, John Petrucci, sur une de ces notes étouffées, laisse raisonner (sans doute involontairement), quelques cordes. N’étant pas guitariste, cela me donne l’impression que jouer une note étouffée sur une guitare, sans laisser raisonner les autres cordes, est un exercice difficile, d’un point de vue technique. « I’m waking up, from a life left behind » : quel refrain entêtant! Second moment poignant de ce spectacle, avec « Ravenskill », mon morceau préféré dans cette première partie. Il y a tant de changements mélodiques, tant de modulations et tant d’émotions, et tout cela me prend tellement aux tripes! « Chosen », que je trouvais ennuyeuse sur disque, passe magistralement le cap de la scène. « A tempting offer » est un autre morceau de bravoure, avec ses harmonies pianistiques à contre-courant. « The X aspect » est d’une beauté saisissante, en particulier à partir des paroles « Gabriel has always been the strength I call upon ». Puis vient « A new beginning », qui regonfle l’auditoire avec sa folle énergie. On notera une petite erreur de John Petrucci, sur l’un des arpèges, qui annonce le ralenti et la partie lente du morceau. Sur la partie instrumentale finale, La superbe ligne de basse de John Myung se déploie avec une aisance remarquable, et le solo de John Petrucci, plus inspiré et plus mélodique que jamais, est confondant de beauté. J’aurais aimé que ce solo se prolonge un peu plus, car le jeu du guitariste est si aérien, que le temps semble comme suspendu, à ce moment du spectacle. « The road to revolution » vient parachever ce premier acte. Le son de mellotron de Jordan Rudess ressort bien, mais est un peu pâle dans les notes graves. Même si James LaBrie a du mal à faire entendre la dernière note du morceau, le conteur interprète le couplet de façon magistrale, avec une voix qui monte en puissance, pour accompagner le reste du groupe. La magnifique coda de ce morceau, aux progressions harmoniques invraisemblables, est interprétée de façon époustouflante. La salle applaudit, de manière retenue, sans doute parce que le public est abasourdi par la justesse de l’exécution de cette première partie, dans un temps aussi long.
À l’entracte, je me retrouve assis à côté de Lutinmyung et de TheKeyboardWizard ; c’est pour moi une joie et une émotion particulières, de pouvoir enfin discuter ensemble de vive voix, et de pouvoir échanger nos impressions, sur ce que nous venons d’écouter. Les deux compères me racontent, en riant, les moments joyeux de l’entretien avec John Petrucci et Jordan Rudess, avant le concert de ce soir.
The Astonishing, Acte II.
Dès l’ouverture, mes compagnons et moi nous apercevons que les ingénieurs du groupe, ou les sonorisateurs de la salle, ont monté le son. Cela est aberrant, car nous ne sommes pas dans un Zénith, mais dans une salle de spectacle plus intime, et cette soudaine montée du son va gâcher l’écoute de ce second acte. « Moment of betrayal » me fait taper du pied, tant les musiciens s’en donnent à cœur joie. « Heaven’s Cove » : quel son de guitare, et quelles magnifiques progressions harmoniques, sur l’introduction, qui m’émeuvent au plus haut point. Troisième émotion forte, avec l’interprétation poignante de « Begin again », avec le duo Petrucci/Rudess, qui nous délivre une introduction toute en sensibilité ; sur les couplets, le jeu des musiciens et l’interprétation de James LaBrie sont fantastiques. « The path that divides », avec sa superbe mélodie vocale, sa montée en puissance avant le duel à l’épée, exécutées avec une effarante maestria par les musiciens, et sa variation finale empruntée à « A tempting offer », est jouissif. Les quatre instrumentistes sont écœurants de précision dans l’exécution des différents riffs de ce morceau.
Autre moment de bravoure du spectacle : « The walking shadow », avec son riff rythmique et tranchant en introduction. Même si toutes les parties vocales ne sont pas interprétées en direct, car cela est impossible, le groupe fait ressentir à l’audience toute l’énergie présente dans ce morceau. Comme sur le disque, les bruits de pas vont progressivement de droite à gauche, et cela est du plus bel effet. L’exécution du dernier riff, avec ses mesures asymétriques, marquant la fin dramatique de ce morceau, me laisse sans voix. Le début de « My last farewell » est très émouvant, mais le groupe ne s’en laisse pas compter, avec la fin rageuse de ce morceau. Sur le début de « Losing Faythe », James LaBrie est légèrement en-dessous de la tonalité du morceau, mais cela ne doit pas être facile de commencer seul, après autant de texte chanté auparavant. « Wispers on the wind », avec sa mélodie aux multiples modulations et progressions harmoniques, donne à écouter un Jordan Rudess et un James LaBrie tout en émotion, qui me font frissonner. « Hymn of a thousand voices » nous remet d’aplomb. Au début de l’introduction, quelques personnes tapent bien sur le huitième temps, comme cela a été demandé par le groupe, mais très vite, la majorité de l’audience tape sur tous les temps ; le vœu du groupe ne sera pas exhaussé pour ce soir. Comme sur l’album, ce morceau m’ennuie dans sa première partie, mais cela s’arrange, à partir des paroles « Glorious sound ». « Our new world », que je trouvais répétitive sur disque, me fait taper du pied, puis le public se met debout, le groupe démontrant toute la dynamique de ce morceau, lorsqu’il le joue en direct. Sur le riff d’introduction, il me semble entendre, à nouveau, le même effet de chorus, amené par John Petrucci, effet déjà remarqué à la fin de « Lord Nafaryus ». Sur les derniers accords de « Our new world », James LaBrie remercie le public, ce dernier ovationnant le groupe, et laissant exploser sa joie.
C’est l’heure du rappel. D’abord « Power down », qui montre les NOMACS d’abord en vol, puis à terre et enfin brûlés, ce qui fait crier le public. Puis arrive le dénouement de cet opéra rock, avec « Astonishing », chanson interprétée de manière impeccable par le groupe, et qui m’émeut une dernière fois. Durant le morceau entier, le public est à nouveau debout, puis James LaBrie remercie à nouveau l’auditoire, et nous applaudissons à tout rompre. le groupe s’éclipse, puis revient pour saluer le public, d’abord un à un, puis tous ensemble, sur une version instrumentale et écourtée de « Astonishing », interprétée par le City of Prague Philarmonic Orchestra. Durant ces saluts, le public ovationne à nouveau le groupe, qui le mérite amplement.
Ce spectacle est somptueux, d’abord parce que le groupe ose une prise de risques, en interprétant seulement sa dernière œuvre, mastodonte de deux heures et demie sur scène. Dream Theater a délivré ce soir une prestation quasi à la perfection. Le jeu de Jordan Rudess et de John Petrucci est écœurant, tant cette partition semble facile, en apparence, à jouer pour eux. John Myung et Mike Mangini sont comme des poissons dans l’eau, assommants de précision. James LaBrie, dont le rôle est si exigeant, s’en est sorti plus qu’honorablement, malgré des difficultés à atteindre certaines notes hautes, cela étant peut-être dû à l’enchaînement de trois concerts consécutifs. Quel dommage qu’il n’ait pas harangué le public, avec un de ses fameux « Come on, people », dont il a le secret!
Cette prestation de Dream Theater est d’autant plus remarquable, que les parties orchestrales et les chœurs sont enregistrés, ce qui ne laisse au groupe aucun droit à l’erreur, y compris dans la précision des ralentis. L’exécution de The Astonishing doit donc demander aux musiciens une discipline, une exigence, une rigueur et une concentration de chaque instant. The Astonishing est un album à part, et unique, dans l’œuvre de Dream Theater, et cette prestation parisienne restera pour moi une expérience à part, et unique, parmi tous les concerts du groupe, auxquels j’ai pu assister. Dream Theater a démontré ce soir que, malgré son aspect ambitieux sur disque, The Astonishing pouvait être magnifié sur scène. Souhaitons qu’un enregistrement officiel de cet opéra rock, joué sur scène, avec piano à queue Steinway D, orchestre philharmonique et chœurs en direct, voit bientôt le jour.
Sébastien « Wizard » Braud
Merci Wizard de ton report, c’est excellent d’avoir ton ressenti sur ce concert, forcément différent, mais bougrement intéressant !!
Super intéressant, tous ces petits détails. J’en avais remarqué certains (James sur Losing Faythe, la bonne qualité des samples de piano de Rudess) mais pour le reste, c’est vraiment bien détaillé.